Commentaires n° 4
Francfort, 30 mai 2020
Chers membres de la Société Franco-Allemande, Chers amis,
Le mois de mai fut riche en initiatives encourageantes, l’Allemagne et la France faisant preuve d’initiatives en faveur d’une plus grande solidarité européenne. Pour Macron „Notre réponse (à la crise), c‘est le rêve européen“.
L‘Initiative franco-allemande pour la relance européenne du 18 mai 2020 est peut-être ce moment hamiltonien évoqué dans le dernier Commentaires. Elle correspond à cette „Europe qui protège”, souhaitée par Emmanuel Macron à la Sorbonne, car elle conjugue :
- Une réponse européenne au défi du Covid-19 : le secteur de la santé est déclaré stratégique et le développement de capacités de R&D et de production pour les vaccins et les traitements est proposé au niveau européen ; des stocks stratégiques communs de produits pharmaceutiques et médicaux doivent être constitués.
- Une solidarité financière par le truchement d’un fonds de relance européen (recovery fund), doté de 500 milliards d’Euros, qui s’ajoutent aux 540 milliards décidés début avril. Il ne s’agit pas de “Corona-Bonds, car les États membres ne sont pas garants solidaires ; mais la solidarité européenne est bel et bien assurée, car le fonds relève du budget européen, financé par un emprunt de la Commission européenne. Les dépenses sont fonction des régions et des secteurs les plus touchés, le financement est assuré par les États-membres selon la répartition budgétaire existante.
- Une perspective d’avenir car le “Green Deal” visant la neutralité carbone d’ici à 2050 est réaffirmé et la transition numérique doit être accélérée.
Cette initiative est le fondement de la proposition de la Commission européenne du 27 mai, qui porte le montant à 750 milliards, dont 500 milliards sous forme de subventions et 250 milliards sous forme de prêts. Il s’agit maintenant d’obtenir l’accord unanime des États-membres et de convaincre notamment l’Autriche, les Pays-Bas, le Danemark et la Suède. Sa mise en œuvre parait assurée, car :
- l’effondrement du PIB au second trimestre (10 % en Allemagne, 20 % en France) se ressentira à partir de septembre, notamment au niveau d’un chômage en forte progression. L’Europe a besoin d’un tel fonds de relance, impossible à réaliser par un État seul.
- Angela Merkel s’est montrée très engagée lors de la conférence de presse conjointe avec Emmanuel Macron. « Nous devons agir au niveau européen, afin de bien nous sortir de la crise (…). L‘Europe doit se montrer solidaire « .
- La chance du calendrier politique : l’Allemagne exerce la Présidence du Conseil à partir du 1er juillet, permettant à Angela Merkel de tout mettre en œuvre pour réaliser l‘initiative franco-allemande : beau couronnement de carrière politique lui permettant d‘ entrer dans l’histoire.
La mise en œuvre effective du fonds permettra de rendre la confiance perdue avec le jugement de la Cour de Karlsruhe et la gestion bien trop nationale de la crise du Covid 19.
L’arrêt de la Cour constitutionelle de Karlsruhe du 5 mai 2020 a remis en question la hiérarchie de la norme et provoqué de vives réactions de la part de la Commission et de la Banque Centrale européenne, tous deux réaffirmant que la politique monétaire de l’Union est une compétence exclusive ; que le droit européen prévaut sur le droit national ; et que les jugements rendus par la Cour de justice européenne s’imposent aux tribunaux nationaux.
L’indépendance de la BCE, un pilier de la pensée monétaire allemande garantie par les traités, est remise en cause. Les programmes de rachat de dette de la BCE relèvent-ils de la politique monétaire, licite ? Ou sont-ils des éléments de la politique économique qui lui est interdite ? Selon la Cour suprême allemande, la BCE n’aurait pas justifié l’adéquation de sa politique et a maintenant trois mois pour ce faire. En attendant, la participation de la Bundesbank au programme de rachat de dettes s’avère délicate.
La crise a démontré la justesse des revendications du personnel médical des dernières années. Ceci vaut tout particulièrement pour la France.
Selon l’OCDE, le salaire d’un infirmier français équivaut à 90 % du salaire moyen, loin du Chili (180 %), des États-Unis (130%) et derrière l’Allemagne (110 %).
A titre immédiat, Edouard Philippe a promis le 30 avril “une prime exempte de tout prélèvement fiscal ou social (…) de 1.500 euros à tous les personnels qui gèrent la crise du Covid-19 dans les hôpitaux des (30) départements les plus touchés. (…) Les autres toucheront une prime de 500 Euros.” En plus, les heures supplémentaires des personnels hospitaliers sont majorées de 50 %.
Martin Hirsch, directeur général de l’Assistance publique – Hôpitaux de Paris, estime entre 15 et 20 % la hausse nécessaire des rémunérations pour une remise à niveau : le salaire fixe des infirmiers en soins généraux (IDE), va de 1.828 euros bruts en début de carrière à 2.938 euros, celui des aides-soignants, de 1.542 euros bruts à 2.184 euros. Les Médecins de l’hôpital bénéficient quant à eux d’une rémunération fixe allant de 4.131 à 7.501 euros.
Le Gouvernement organise le “Ségur de la Santé”, afin de revoir la structure du système de santé publique. Près de 300 représentants syndicaux, associatifs et professionnels ont été conviés en visioconférence avant de déterminer la feuille de route et la méthode de la concertation. Selon Martin Hirsch “L’hôpital français est devenu l’un des plus normés du monde depuis vingt ans. Il faut changer cela, et donc faire confiance aux établissements. Ce qui est sûr, c’est que l’addition des rigidités – budgétaire et normative – rend le système explosif : on ne peut demander à un univers aussi complexe de se réformer dans un carcan.”
La réforme comprendra une accélération de la télémédecine et une décentralisation jugée indispensable par le monde médical, et la population dans son ensemble : 66 % de la population accorde sa confiance aux communes et aux départements dans la gestion de la crise contre 31 % pour l’État selon un sondage de l’Institut Elabe pour Les Échos (7 Mai 2020)
La stratégie de déconfinement : la danse avec le virus a commencé
Le ralentissement des nouveaux cas se manifeste en France comme en Allemagne et permet un déconfinement que les populations appellent de leurs vœux.
France | Allemagne | États-Unis | Italie | Espagne | |
Nombre de cas au 3 avril | 59.529 | 84.794 | 245.573 | 115.242 | 112.065 |
30 avril | 166.543 | 161.539 | 1.040.488 | 203.591 | 236.899 |
30 mai | 186.924 | 183.025 | 1.747.087 | 232.248 | 238.564 |
Décès3 avril | 5.387 | 1.107 | 2.118 | 13.915 | 10.348 |
30 avril | 24.087 | 6.467 | 58.355 | 27.682 | 24.275 |
30 mai | 28.717 | 8.504 | 102.836 | 33.229 | 27.121 |
Guérisons 3 avril | 12.548 | 22.440 | 9.228 | 18.278 | 26.743 |
30 avril | 49.118 | 123.500 | 124.023 | 71.252 | 132.929 |
30 mai | 67.921 | 164.245 | 406.446 | 152.844 | 150.376 |
Nombre de testspar million d’habitants (*) | 21.217 | 42.922 | 47.031 | 58.540 | 76.071 |
Les discussions sur la compatibilité de mesures de confinement aussi radicales et de la démocratie et des libertés fondamentales vont bon train. L’ancien Président de la Cour Suprême allemande, Hans-Jürgen Papier, estime „La mise en œuvre et la levée d’un confinement devraient à l’avenir être décidés par le Parlement“
Les mesures de déconfinement prises en Allemagne et en France se ressemblent :
Allemagne | France | |
Début du déconfinement | 20 avril | 11 mai |
Déplacements | libres en Allemagne | < 100 km |
Ouverture des frontières | 15 juin | 21 juin |
Écoles | A partir du 27 avril | A partir du 11 mai |
Commerces, | < 800 mètres carrés | <40.000 mètres carrés |
Restaurants | Compétence des Länder : Hesse 5 m2 par personne | A partir du 2 juin |
Culture | Compétence des Länder | Petits musées et bibliothèques ; cinémas non |
Lieux de culte | A partir du 11 mai | A partir du 19 mai |
Parcs | oui | Dans les départements verts |
Grandes manifestations | Interdites jusqu’à fin août(Football à partir du 16 mai) | Interdites jusqu’à fin août |
Du fait de ce déconfinement général, le gouvernement a l’intention d’organiser le second tour des élections municipales le 28 juin prochain pour les 5000 communes qui n’ont pas eu de résultat majoritaire le 15 mars dernier. « Nous aurons une clause de revoyure, elle interviendra sans doute dans deux semaines », a précisé Edouard Philippe. Un projet de loi permettant de reporter les élections municipales au plus tard en janvier 2021 sera de ce fait présenté la semaine prochaine en conseil des ministres, au cas où il ne serait pas possible de les organiser fin juin.
Enfin, les gouvernements européens travaillent à une ouverture des frontières au sein de l’Europe. L’Autriche avait été la première à fermer ses frontières avec l’Italie, de manière unilatérale L’Allemagne a fait de même avec ses frontières avec la France, malgré l’accord de Schengen et l’accord- cadre franco-allemand sur la coopération transfrontalière en matière de santé entré en vigueur en2007. Ce dernier est censé permettre le meilleur accès à la prise en charge en cas d’urgence et fut complèté en 2009 par des accords sur la coopération transfrontalière dans le domaine des services de secours dans l’espace Alsace/Bade-Wurtemberg et Alsace/Rhénanie-Palatinat.
La quarantaine, supprimée par la France depuis quelques semaines, mais qui reste la règle pour le retour en Allemagne, devrait être levée de part et d’autre le 15 juin. Les vacances en France semblent donc à nouveau possibles !
Christophe Braouet