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Commentaires « 70 ans après la déclaration de Robert Schuman »

Francfort, 9 mai 2020

Chers amis,

Hier, nous avons célébré la fin de la seconde guerre mondiale voici 75 ans. Dès 1950, soit seulement 5 ans après la guerre, Robert Schuman faisait sa déclaration novatrice, lançant la construction européenne. Aujourd’hui, l’Europe fait face à la plus grave récession depuis 1929, se traduisant par une augmentation substantielle de la dette publique : celle-ci devrait passer de 105 à 122 % au sein de la zone Euro (en moyenne pondérée). 

Ce sont les pays du sud de l’Europe, dont le niveau d’endettement était déjà bien supérieur à la moyenne, qui connaissent à présent les déficits publics les plus importants, à l’exception notoire de la Grèce. Par ailleurs, la France risque de rejoindre économiquement « le camps » des pays du sud, avec une dette supérieure à 120 %. Les pays du Nord et de l’Est ont quant à eux une dette plus faible et une récession certes importante, mais plus modérée. A présent, les Européens du Sud réclament la solidarité, boudée par les pays du nord et de l’est. 

Fait aggravant, le combat contre le Covid-19 a été le fait des États plus que de l’Union européenne, les États fermant leurs frontières pour protéger leur population et interrompant les exportations d’équipement médical, même à destination des voisins européens. 

70 ans vite passés …Le plan Marshall (deux ans seulement après la guerre), et l’aide alimentaire suédoise durant quatre ans, la déclaration Schuman (juste un an saprès la fondation de la RFA) et l’accord de Londres de 1953, par lequel plus de 50 % de la dette étrangère allemande furent effacés : autant de manifestations de solidarité et furent le fondement du redressement économique de l’Allemagne. Pari gagné.

C’est l’Allemagne qui fut aidée voici 70 ans, aujourd’hui ce sont l’Italie, l’Espagne voire la France qui ont besoin d’être soutenus. A l’époque, l’un des buts était la sauvegarde du marché économique ; aujourd’hui il s’agit de sauver le marché intérieur européen. Pourquoi ne pas gagner ce pari également ? 

Notre modèle de société et l’économie sociale de marché doivent être défendus comme manifestation d’une solidarité voulue face aux États-Unis et à la Chine. Les Européens souhaitent un filet protecteur en cas de nécessité, et nous sommes prêts à concéder un niveau bien plus important de charges sociales pour ce faire. Le travail à temps partiel importé d’Allemagne sert quasiment de modèle en Europe. Chose inimaginable aux États-Unis, où – dans la foulée du Covid 19- le nombre de chômeurs a progressé de 30 millions, la plupart d’entre eux perdant de ce fait leur assurance maladie. 

Aucun Européen ne souhaite échanger son régime de sécurité sociale contre celui des Américains. Bon nombre de républicains estimait que l’„Affordable Care Act“ lancé par Barack Obama correspondait á l’introduction du communisme. …alors qu’il introduisait, ni plus ni moins, une couverture sociale à l’européenne. 

Frank-Walter Steinmeier a déclaré le 10 avril dernier : « Le monde d’après sera différent. Comment sera-t-il ? Je crois que nous nous trouvons à la croisée des chemins. Les deux chemins directions que nous pouvons prendre sont déjà perceptibles durant la crise. Soit chacun pour soi, tous coudent dehors, constituant des stocks pour se mettre à l’abri ? Soit l’engagement redécouvert pour autrui et la société ?  (…) Cherchons nous l’issue ensemble ou retombons-nous dans l’isolement et les démarches solitaires ? » Face à Trump ou à la Chine, cette vision ne peut être défendue qu’au niveau européen.

En Europe, nous devons dépasser le simple calcul : la plupart d’entre nous était choquée par le „I want my money back“. Il s’agit de défendre l’Europe sur le marché mondial, d’affirmer notre indépendance dans les secteurs stratégiques tels que l’automobile ou la pharmacie, la digitalisation ou les technologies environnementales. Robert Schuman exprimait la nécessité d’une solidarité européenne comme suit :  

« La paix mondiale ne saurait être sauvegardée sans des efforts créateurs à la mesure des dangers qui la menacent. La contribution qu’une Europe organisée et vivante peut apporter à la civilisation est indispensable au maintien des relations pacifiques. (…) L’Europe ne se fera pas d’un coup, ni dans une construction d’ensemble : elle se fera par des réalisations concrètes – créant d’abord une solidarité de fait. Le rassemblement des nations européennes exige que l’opposition séculaire de la France et de l’Allemagne soit éliminée. (…)

(…) L’Europe pourra, avec des moyens accrus, poursuivre la réalisation de l’une de ses tâches essentielles : le développement du continent africain. (…) »

Voici ce qui fut déclaré cinq ans et un jour seulement après la seconde guerre mondiale. 

Comme Emmanuel Macron le postulait dans son discours de la Sorbonne, la définition de la souveraineté doit être adaptée au nouveau monde tel qu’il est. La réduction des dépendances étrangères de nos chaines de production ou l’évolution démographique africaine sont des enjeux qui ne peuvent trouver de réponses qu’au niveau européen. La population d’Afrique va progresser de 500 millions de personnes dans les vingt ans à venir. Le but d’une politique de développement doit être de créer des emplois sur place. Les flux migratoires appellent également une réponse européenne. 

Le renforcement de l’Union européenne et de son budget sont inévitables afin de défendre notre modèle de société et la place de l’Europe dans le monde. 

Voici pourquoi l’Europe doit être renforcée et unie face et après la crise. Ceci peut réussir avec un nouveau plan Marshall : le plus bel hommage à rendre à Robert Schuman !

Christophe Braouet